Il est des saisons ou rien ne va ,cela faisait dix sorties que la voie était bonne que les chiens travaillaient merveilleusement ,notre piqueux guillaume patient et appliqué relevait les défauts mais au moment de conclure, nos tireurs faisaient choux blanc, le grand Jeannot se jouait de nous . Il se permettait même de nous narguer, arrêté sur la bosse de la réserve , assis sur son cul blanc, fier comme Artaban, nous toisant de ses deux grandes oreilles,il me semble même l'avoir vu se gausser. Le Lionel rageait le poing levé maudissant le coquin "tu fais le malin dans ta réserve,mais reviens un peu par là, je vais te faire goûter du plomb n°4 ". Du quatre, tu n'en a plus mon Lionel, tu avais tiré et tiré encore, criblant les prés du tonton, sans jamais atteindre ta cible. Une cellule de crise avait été réunie pour stopper les railleries dont on faisait l'objet de la part des habitants du village.Il est vrai que l'on se donnait en spectacle chaque week-end, Gérard avait même installé des chaises et une table devant l'écurie pour suivre nos chasses, les convives se repaissaient de charcuteries et de cuvées locales, hilares, ils nous proposaient de venir casser la croute à notre retour mais on avait perdu l'appétit. Il fallait trouver une solution... Ce week-end, l'infanterie avait été recrutée , nos collègues de Tarentaise avaient été convoqués, on avait acheté de nouvelles cartouches, les meilleures du marché, avec plomb à tête chercheuse et tout et tout , le sort du grand Jeannot était tracé: direction la grande cocquelle avec les carottes, le vin rouge, les herbes aromatiques sur le fourneau du tonton . "On va lui apprendre à nager dans un litre de mondeuse" disait Timbale en sortant son calibre douze de sa housse. Tels les sept mercenaires, ils se tenaient tous debout dans la cour de la ferme, Lionel distribuait les postes clefs, et les cartouches, personne ne parlait, l'instant était grave. Pendant que les postés s'éloignaient , Guillaume préparait les chiens. Les colliers étaient mis, les cloches tintaient déjà, la meute sage, commençait sa quête matinale, dessinant en foulant la rosée un tableau abstrait et éphémère dans les prés de la plaine. Les fouets allaient et venaient tels des métronomes, Chérand le vieux guerrier, une fois de plus trouve la voie ,un rapproché lent et appliqué commence. Il a longé les haies, passé et repassé sur le tas de pierres, foulé le tas de fumier pour masquer son odeur ,mais les chiens ne se trompent pas, il se rapprochent du gite du bougre. Jaillissant tel un diable sortant de sa boîte, le capucin s'élance dans une course folle poursuivi par les chiens. La menée va bon train ,prend la direction du premier posté, Lionel, resté en bas au bord de la route a un sourire "tu es cuit " un coup ... deux coups, la menée continue, encore raté! peste Lionel "tu as encore six postes à passer et pas des moindres" Lionel reste confiant,et pourtant.... Les doublés ,triplés se sont enchainés un coup dans le zig ,un coup dans le zag mais rien n'y faisait, le grand Jeannot continuait sa course vers le dernier posté, Lionel.... Planté au bord de la route ,droit sur ses jambes, il voit arriver le Jeannot, il épaule sûr de lui, prend et reprend sa visée, affine cette dernière ......trente mètres,vingt, quinze ... "reste calme mon Lionel, ne te presses pas, penses à ta respiration... " Le doigt presse la détente ,les plombs jaillissent du canon ... et viennent finir leur course dans une motte de taupe. le doigt presse encore et encore et encore et encore la détente, le magasin vide ne peut plus alimenter le feu, toujours avec le même résultat ,un coup dans le zig ,un coup dans le zag "Maudite bestiole" hurle Lionel jetant à terre sa pétoire fumante. Le lièvre traverse la route, monte la bute, s'arrête, pose son cul blanc sur l'herbe de la réserve, se dresse sur ses pattes arrières, nous regarde et sourit.... La meute est arrêté sur la route, les fusils cassés, les cartouches replacées dans les cartouchières. L'air penaud, les postés rentrent. "Comment j'ai pu rater?" dit l'un,"je l'avais bien!"dit l'autre. Le Zig vieux chasseur de lièvre du village est là , bras croisés, "encore raté ?"nous lance-t-il "Et oui, on n'y comprend rien, on tire toujours à côté" Le Zig nous dit que cela est normal, "normal ?"lui dis je -"Oui mon petit, je le connais ce lièvre,je l'ai observé. Il est gaucher" -"Gaucher?" -"Oui!" -"Quand vous tirez dans le zig, il est dans le zag; et quand vous tirez dans le zag, il est dans le zig" La solution était là, le lièvre ne faisait pas zig zag mais zag zig. Un lièvre gaucher qui l'eut cru, Résultat des course on décida de ne plus chasser cet animal extraordinaire, longue vie à lui et à sa descendance. La cocquelle fut retirée du feu, les carottes, râpées et la mondeuse, bue avec nos amis de Tarentaise. PS: Pour tous les chasseur désirant se mettre au régime je leur conseille le régime au civet de lièvre , par chez nous, il fonctionne bien: Lionel et moi-même, avons gagné un trou à notre ceinturon....
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